Par Unité des Chréstiens
Diacre permanent à la cathédrale américaine de Paris, Joanne Coyle Dauphin est membre du Comité mixte anglican-catholique en France (French ARC) dont elle retrace l’histoire, en présentant aussi ses chantiers récents.
Je suis née en 1936 à White Plains, aux États-Unis, dans une famille épiscopalienne. Mes parents étaient paroissiens de l’Église épiscopale (anglicane), mon père était membre du conseil paroissial. Je suis donc pour ainsi dire « une épiscopalienne du berceau », même si je n’ai pas toujours été impliquée et active dans la vie ecclésiale.
Après mes études dans l’un des plus prestigieux « collèges universitaires » féminins aux États-Unis, celui de Wellesley (Massachusetts), j’ai préparé un doctorat en relations internationales et j’ai soutenu en 1963 une thèse sur « La politique coloniale française en Indochine ».
En 1963, je me suis mariée et me suis définitivement installée en France.Il n’était pas facile de faire reconnaître mon diplôme américain en France, et les Français n’avaient pas vraiment besoin que je leur fasse cours sur leurs politiques en Indochine. C’est donc comme vacataire que j’ai pu enseigner les sciences politiques et l’anglais spécialisé dans différentes universités parisiennes (notamment Sciences Po, Paris XIII, l’École nationale d’administration) pendant une vingtaine d’années. Dans mon enseignement, j’ai dû m’adapter à des personnes de provenances très différentes, aussi bien des étudiants étrangers venus en France pour une année d’étude que des hauts fonctionnaires de l’Assemblée nationale. Cela a constitué une bonne préparation au ministère dans l’Église.
À partir de 1990 je me suis mise au service de la cathédrale américaine de la Sainte-Trinité à Paris en tant que reader, c’est-à-dire en exerçant un ministère laïc reconnu. J’animais notamment l’office du mercredi matin où je prêchais en français. En plus de ces responsabilités liturgiques, mon engagement comportait aussi un volet pastoral et j’effectuais des visites aux personnes hospitalisées. Dans les années 1990, j’ai également été tuteur pour des laïcs qui suivaient une formation théologique par correspondance proposée par le séminaire de Sewanee aux États-Unis. Un groupe bilingue français-anglais de six à dix personnes se réunissait chaque semaine chez moi pour prier et partager des réflexions théologiques.
Quand j’ai pris ma retraite de mes activités universitaires, j’ai constitué une équipe de bénévoles pour assurer des visites guidées de la cathédrale. Cela avait une dimension œcuménique. D’abord parce que nous étions affiliés à une association Art, Culture et Foi, qui regroupe surtout des personnes qui font visiter des églises catholiques. Nous accueillions aussi des groupes d’autres confessions chrétiennes, ce qui générait de belles rencontres spirituelles.
Au final, mon ministère laïc était devenu assez consistant. La question du ministère ordonné s’est donc posée. Dans l’Église épiscopale, il y a des diacres permanents. J’ai longtemps hésité… En étais-je digne ? À la fin de la liturgie, c’est le diacre qui renvoie les fidèles : un geste hautement symbolique qui exprime bien le lien entre l’Église et le monde extérieur. Pouvais-je incarner ce lien... ?
Discerner comment j’étais appelée à servir mon Église a été un processus long, d’autant plus compliqué qu’il n’y avait pas encore de diacre permanent anglican en Europe continentale. Actuellement dans l’Église épiscopale aux États-Unis, il y a des femmes diacres, prêtres et évêques, et la moitié des 2500 diacres sont des femmes.
J’ai finalement été ordonnée en 2003 comme diacre permanent. Pendant ma formation, j’ai beaucoup bénéficié du soutien de mon mari du point de vue spirituel, psychologique, et même financier. C’est donc avec, et même grâce à mon mari, qui est catholique pratiquant, que je suis devenue ministre ordonnée de mon Église. Nous vivons l’œcuménisme en couple depuis plus de cinquante ans. C’est à la fois une chance et un défi. Nous sommes bien soutenus dans la paroisse catholique Saint-Augustin (Paris 8e).
Ma formation théologique s’est effectuée dans un institut (East Anglian Ministerial Training Course) qui forme des prêtres anglicans et des ministres méthodistes, avec des sessions en Angleterre et des travaux personnels.
C’est à Lille, en 1999, que j’ai participé pour la première fois à une session du Comité mixte anglican-catholique en France (French ARC). Celui-ci avait été créé en 1970, sur le modèle de la Commission internationale de dialogue, l’ARCIC (Anglican Roman Catholic International Commission) née peu avant. En France le comité est officiellement mandaté par le diocèse en Europe de l’Église [anglicane] d’Angleterre et la Conférence épiscopale catholique.
Je suis donc membre de la Convocation des Églises épiscopales en Europe, la branche américaine de l’anglicanisme sur le continent européen, placée sous la responsabilité de l’évêque Pierre Whalon. Mon arrivée dans la délégation anglicane du French ARC, qui ne comportait jusque là que des membres de l’Église d’Angleterre, a modestement permis d’élargir ce groupe puisque la Communion anglicane comprend de nombreuses Églises à travers le monde qui sont en communion avec l’archevêque de Cantorbéry, primat de l’Église d’Angleterre et chef spirituel de la Communion anglicane. Je dois ajouter que le responsable du Service des relations œcuméniques de la Fédération protestante de France assiste aux réunions du French ARC, à titre d’observateur.
Avant mon arrivée, en 1990, le Comité mixte anglican-catholique en France et celui d’Angleterre avaient publié un document intitulé Jumelages et échanges / Twinnings and Exchanges. Il fournissait quelques recommandations pour les jumelages entre la France et la Grande Bretagne qui donnent l’occasion à des anglicans et à des catholiques de se rencontrer annuellement : par exemple entre le diocèse catholique d’Arras et le diocèse anglican de Cantorbéry ; ou entre Bayeux-Lisieux et Exeter…
Quand j’ai intégré le French ARC, un des chantiers a été de traduire en français des textes liturgiques anglicans. L’Église d’Angleterre venait en effet de réviser son livre officiel et de publier Common Worship. Nous avons donc travaillé aux offices du baptême, de la confirmation, du mariage et des funérailles. L’usage de ces liturgies en français est désormais officiellement autorisé et les textes traduits par le French ARC figurent sur le site internet du diocèse en Europe de l’Église d’Angleterre. Disposer ainsi de versions bilingues de ces célébrations est particulièrement utile aux communautés anglicanes en France, notamment pour les couples mixtes bi-nationaux et bi-confessionnels.
Il y a d’autres situations où les conseils du French ARC ont été précieux pour les communautés anglicanes en France. La grande majorité d’entre elles célèbre ses offices dans des églises catholiques. Cet accueil se vit généralement bien, mais parfois surgissent des questions délicates. Pensons par exemple à l’arrivée d’une femme prêtre au service d’une communauté anglicane. La présence d’une femme à l’autel, dans une église catholique, peut surprendre. Pour ce genre de situation, le French ARC a émis des recommandations pratiques qui sont utiles aux anglicans et aux catholiques.
Dans les dernières années, le French ARC s’est ouvert au monde universitaire.Deux colloques ont été organisés au Centre Istina à Paris : « L’anglicanisme contemporain, entre tradition et renouveaux » (2011) et « Anglicanisme(s). Une communion mondiale d’Églises au défi de la diversité culturelle » (2012) [1]. Par ailleurs, à l’occasion de 350e anniversaire du livre liturgique anglican s’est tenu en septembre 2012 un colloque à l’université d’Amiens sur le thème « The Book of Common Prayer : généalogie, réception et influence de la liturgie anglicane dans l’Occident chrétien ». Fait assez rare dans la France laïque, une célébration des vêpres anglicanes (Choral Evensong) était proposée au cours du colloque. Et c’est le chœur de la cathédrale américaine de Paris qui a chanté, dans la cathédrale d’Amiens. Un grand moment œcuménique.
Le comité se réunit une fois par an sur trois jours, ce qui n’est pas beaucoup. Cependant les moyens actuels de communication permettent de garder le contact et il y a d’autres occasions de rencontre. Le coprésident anglican du French ARC assiste à l’assemblée des évêques à Lourdes et le secrétaire catholique est présent au synode annuel des anglicans. L’ambiance des réunions est conviviale, dans un climat de confiance et de respect. J’ai beaucoup appris sur les différentes facettes de l’Église catholique. La connaissance que j’ai pu acquérir n’est pas simplement théorique, mais avant tout incarnée. Elle se base sur la rencontre avec les autres membres du comité, mais aussi avec les personnes qui nous accueillent puisque chaque année nous nous réunissons en un lieu différent. Je garde par exemple un souvenir précieux de l’accueil chaleureux qui nous a été réservé par les sœurs bénédictines du Bec-Hellouin. Depuis, je suis retournée plusieurs fois faire une retraite dans leur monastère.
Dans la vie du comité, il n’y a pas que des réussites. La question de l’hospitalité eucharistique reste par exemple un point de divergence. Au cours d’une eucharistie anglicane, tout baptisé qui communie habituellement dans son Église est invité à la table du Seigneur. L’enseignement et la pratique de l’Église catholique ne sont pas les mêmes. C’est une difficulté que nous n’avons pas pu surmonter jusqu’à présent.
Au French ARC nous avons beaucoup étudié les documents publiés par l’ARCICet nous travaillons à leur réception dans le contexte français. À titre d’exemple, les trois comités mixtes anglicans-catholiques (celui de France, d’Angleterre et de Belgique) s’étaient réunis à Bruges en l’an 2000 pour analyser le document de l’ARCIC intitulé Le don de l’autorité (1999). Mais c’est peut-être davantage dans l’esprit de l’IARCCUM que nous travaillons aujourd’hui. Créée en 2011, cette Commission internationale anglicane-catholique pour l’unité et la mission, complémentaire de l’ARCIC, est composée uniquement d’évêques. Elle vise à ce que notre accord dans la foi se traduise dans une collaboration plus grande entre anglicans et catholiques. Dans son document « Grandir ensemble dans l’unité et la mission » publié en 2006, l’IARCCUM recommande que soient créés des groupes de travail pour « une étude commune des traditions liturgiques des uns et des autres » et que soient célébrés « de plus fréquents offices non eucharistiques en commun ». Le French ARC travaille donc actuellement à une publication qui devrait paraître en juin 2015, sous le titre « Seigneur ouvre nos lèvres. Pour une prière commune aux anglicans et aux catholiques ». Il voudrait encourager la célébration commune des offices de laudes et de vêpres quand des anglicans et des catholiques sont réunis puisque nous bénéficions déjà d’une tradition commune pour la prière liturgique du matin et du soir. L’objectif reste modeste, mais la redécouverte de ce trésor liturgique que nous avons en partage et la communion spirituelle vécue dans ces célébrations communes de laudes et de vêpres pourraient constituer un marchepied en vue du partage eucharistique.
Propos recueillis par Ivan KARAGEORGIEV
Notes
[1] Certaines interventions ont été publiées dans la revue Istina, n° 2013/2,www.istina.eu.